Entretien avec Marion Genaivre
En 2019, j’ai découvert Thaé, une agence de philosophie fondée par Flora Bernard et Marion Genaivre. En cette rentrée, j’ai eu envie de mettre en avant leur vision philosophique de la performance telle qu'exposée dans leur ouvrage auto-édité « Un mois, Un mot ». Marion Genaivre nous livre un entretien passionnant en déclinaison de ce thème qui vous ouvrira, je l’espère, de nouvelles perspectives.
Bonjour Marion, merci d'être avec nous pour cette interview sur le thème de la performance. Avant de commencer un petit mot sur Thaé. Thaé est une agence de philosophie, qu'apportez-vous aux organisations ?
Nous essayons d'apporter ce que la philosophie a toujours eu l'ambition de proposer aux hommes depuis qu'elle est née. En général, on attribue la paternité de la philosophie en Occident à Socrate.
Nous essayons d'apporter une façon de penser par soi-même les enjeux du quotidien mais aussi de les penser ensemble. De mener les deux dynamiques de front ; de pouvoir vraiment se réapproprier le sens des choses, le sens de nos décisions, le sens de nos actions. Et de se les réapproprier en examinant nos représentations, nos croyances à la fois en nous-mêmes et collectivement.

"...Quand on pratique la philosophie, on découvre que le sens que nous mettons dans les mots influence grandement la façon que nous avons de percevoir le réel et donc influence nos pratiques, nos comportements mais aussi la personne que nous sommes."
Comme Socrate, nous proposons de repratiquer le questionnement, de repasser par l'argumentation, au sens d'aller regarder du côté des fondements de nos pensées, de notre capacité à pouvoir expliquer pourquoi on pense ce que l'on pense.
De revisiter également notre capacité à conceptualiser. Derrière ce grand mot, il y a tout simplement le goût des mots justes. Être à la fois attentif aux mots que nous choisissons pour discuter, pour nommer le réel, et surtout être attentif au sens que nous donnons aux mots.
Quand on pratique la philosophie, on découvre que le sens que nous mettons dans les mots influence grandement la façon que nous avons de percevoir le réel et donc influence nos pratiques, nos comportements mais aussi la personne que nous sommes.
Est-ce dans cette optique là que vous avez publié « Un mois, Un mot » qui apporte un éclairage sur 12 concepts employés aujourd'hui dans notre quotidien ?
C'est tout à fait dans cette optique-là. « Un mois, un mot », c'est un recueil de 12 introductions philosophiques sur des enjeux sur lesquels nos clients nous ont interpellées.
La moitié d'entre eux ne sont pas du tout des concepts philosophiques à l'origine. Typiquement, les bibliothèques de philosophie ne croulent pas sous le concept de « performance » qui nous réunit aujourd'hui, mais nous sommes parties du principe que tous les concepts pouvaient être appréhendés philosophiquement. Nous partageons ces introductions dans nos ateliers d’accompagnement et beaucoup de clients nous ont demandé de pouvoir les relire à tête reposée car ils les trouvaient très éclairantes et très stimulantes. Nous les avons réunies et réécrites un peu pour que cela devienne une ressource pour nos lecteurs.
Alors, avec un éclairage philosophique, qu'est-ce que la performance ?
C'est un concept que j'ai eu beaucoup de plaisir à explorer philosophiquement parce que c'est un concept de prime abord plutôt financier et économique quand on se place dans le contexte des organisations, même si on le retrouve aussi dans le monde du sport et de l'artisanat.
Mon objectif était de dépasser un peu cet aspect financier et économique notamment en repassant par l'étymologie. J'aime bien philosopher à partir du sens ancien des mots pour voir comment ils nous donnent à repenser leur sens actuel.
« Performance » vient de l'ancien français parformer, parfaire ; « par » ça veut dire « être en train de », « à travers ». Et «former», « donner forme ». Donc au sens premier, la performance ça veut dire « être en train de donner forme » ou « de se donner forme ».
"...Quand je suis cette organisation qui vise la performance, je suis en train de mettre en œuvre des formes, des actions, des pratiques, des objectifs qui vont être observés et qui vont devenir qu'on le veuille ou non, ... des modèles d'identification pour les autres. J'ai donc la responsabilité de la forme que je me donne."
Pour moi c’est là que c’est intéressant parce que cela ne renvoie pas uniquement à une question de rentabilité ou d’objectif. C’est aussi la question : qu'est-ce que je modélise en tant qu'organisation ? Quelle forme suis-je en train de prendre ? Non seulement de prendre mais aussi de montrer.
Dès que je me dis que je donne forme ou que je prends forme, il y a l'idée que je suis en représentation, que d'autres vont voir cette forme, et notamment la société. Il y a donc toujours associée à cette idée de prendre forme ou de se donner forme, l'idée de la responsabilité de cette forme.
Quand je suis cette organisation qui vise la performance, je suis en train de mettre en œuvre des formes, des actions, des pratiques, des objectifs qui vont être observées et qui vont devenir qu'on le veuille ou non, si on en croit Jean-Paul Sartre, des modèles d'identification pour les autres. J'ai donc la responsabilité de la forme que je me donne.
Cette responsabilité est donc à la fois pour les salariés et pour les entreprises si je comprends bien ?
Exactement ! Cette responsabilité-là se rejoue à tous les niveaux. Il y a vraiment, moi en tant qu'individu, quels comportements je modélise en tant que collaborateur, manager, dirigeant. C'est étroitement associé à l'idée que je me fais de la performance. Cela se joue évidemment à l'échelle de la personne puis à l'échelle d'une organisation. Les dirigeants peuvent se demander quelle Société ma société contribue à créer.
Comment développer une performance avec un concept plus ouvert que celui d’aujourd'hui ?
L'idée d'être rentable et profitable est évidemment une nécessité pour toute organisation, mais n'est-ce pas un peu réducteur de s'en tenir là pour concevoir la performance ?
J'ai l'impression que l'enjeu aujourd'hui ce sont toutes les demandes de sens avec lesquelles arrivent les collaborateurs ; ces enjeux-là nous demandent de repenser ce qu’est la performance d'une organisation et donc de la penser peut-être de manière plus intégrale, en commençant par ne plus confondre l'objectif et le résultat.
La deuxième chose, c'est aussi de repenser un peu l'idée qu'on se fait de l'efficacité. On a aussi, dans la performance, une certaine conception de ce qu’est être efficace en tant qu'organisation. En général, on est performant lorsqu'on a produit un maximum, en peu de temps, à moindre coût. C'est un peu caricatural mais je pense qu’on n’est pas loin de cette définition-là. L'efficacité est vraiment une notion qui est au cœur de notre concept de performance aujourd'hui.
"Dans l'efficience, on porte attention aux moyens qu'on met en œuvre, c'est-à-dire pas uniquement la fin visée, le « quoi », mais le chemin qu'on emprunte, le « comment »."
Or, la pensée extrême-orientale, elle, a beaucoup plus développé une pensée de l'efficience. Dans ce concept d'efficience, la différence avec l’efficacité est subtile mais déterminante : dans l'efficience, on porte attention aux moyens qu'on met en œuvre, c'est-à-dire pas uniquement la fin visée, le « quoi », mais le chemin qu'on emprunte, le « comment » ; comment est-ce que je réalise mon objectif ? Ce n'est plus seulement l'objectif qui importe. Dans l'efficience, l'objectif devient presque un prétexte pour se développer. L'efficience poursuit une logique de l'optimum avec une recherche du développement, tandis que l'efficacité est vraiment dans une logique du maximum où l'objectif devient quelque chose de très important. Ce n'est plus du tout un moyen, c'est une fin en soi.
"Dans cette version un peu étroite de la performance et de l'efficacité, tant qu'on n’a pas atteint le résultat, on estime qu'on n'a pas été performant."
Et l'objectif prime sur le résultat, c'est-à-dire qu'on va estimer que tes objectifs sont réalisés si tu as atteint le résultat fixé alors qu'on pourrait avoir une conception de l'objectif plus vaste et se dire qu'un objectif pour un collaborateur ou pour une équipe c'est un moyen de se développer. Ainsi, même si on n’atteint pas le résultat escompté, cela ne veut pas dire qu'on ne s'est pas développé en cours de route. On a d'ailleurs peut-être innové sans le savoir. Simplement, dans cette version un peu étroite de la performance et de l'efficacité, tant qu'on n’a pas atteint le résultat, on estime qu'on n'a pas été performant.
Et les entreprises dépensent parfois beaucoup de moyens pour un résultat alors que si elles se penchaient sur l’efficience peut-être qu'elles seraient plus performantes.
"...je suis hautement performant quand j'en fais le moins possible..."
Absolument, c'est vraiment une question de paradigme. Il est compliqué pour nous de sortir de cette conception que nous venons de décrire.
Cela me fait penser à la pensée de Sun Tzu, à qui on attribue beaucoup une pensée stratégique car la seule chose qu'on connait de lui en Occident est "l'art de la guerre". Il a développé sa pensée à partir du confucianisme et du taoïsme qui étaient le fond philosophique de tout penseur de son époque. Il nous dit, en s'appuyant sur ses prédécesseurs, "l'action la plus juste n'est pas en un sens l'action la plus performante mais celle qui s'est réalisée dans une grande économie de moyens". Autrement dit, je suis hautement performant quand j'en fais le moins possible.
Nous, nous mettons tous les moyens en œuvre, c'est pour cela que nous aimons tant les plans d'action. Nous avons un objectif et nous faisons tout ce qu'il faut pour l'atteindre. Pour un penseur comme Sun Tzu, c'est contre-productif et tout à fait contre-intuitif.
Il dira que c'est une perte d'énergie incroyable et que c’est donc contre-performant d'agir de la sorte. Il faudrait être beaucoup plus dans l'observation du réel, beaucoup plus à l'écoute de ce qui est, des tendances, des potentiels de situation, capitaliser sur cela, jouer sur ces forces en présence et avec le moins d'actions possible arriver à son but.
On rejoint tout à fait la philosophie de l'amélioration continue qui fonctionne très bien au Japon et qui a beaucoup plus de mal à trouver sa place en France.
"...c'est en voulant dérouler ce plan d'action qu'on se rend compte que le réel résiste et qu’il est souvent assez couteux d'atteindre son objectif"
Oui, car nous n’héritons pas des mêmes traditions. En France, nous héritons de la tradition grecque qui est la grande tradition de la théorie d'abord, la mise en pratique ensuite. Tout cela remonte à Platon.
Nous sommes d’abord dans le monde des idées, de ce qu'on veut réaliser, en formant dans notre esprit l'idée d'un objectif à atteindre. Ensuite, on conçoit un plan d'action qu'on essaie de dérouler et c'est en voulant dérouler ce plan d'action qu'on se rend compte que le réel résiste et qu’il est souvent assez couteux d'atteindre son objectif.
C'est la raison pour laquelle nous avons aussi ce culte de l'action, pour ne pas dire de l'activisme. Il y a une espèce d'hyperactivité dans nos organisations qui fait que nous avons l'impression que pour être performant, il faut faire. Il y a beaucoup d'agitation, on fait beaucoup et en réalité, on agit peu. Agir au sens que Sun Tzu nous le suggère, c'est-à-dire se contenter de poser l'action juste, au bon moment, ni plus ni moins.
C'est vrai que l'héritage extrême-oriental est tout autre, puisque, pour eux, ce qui doit m'indiquer l'objectif, ce n'est pas mon désir, c'est la réalité. Et à cette condition-là j'atteindrai tous les objectifs que je veux. Si je suis à l'écoute du réel, que c'est à partir de lui que je définis les objectifs et non à partir de mes desiderata, alors je réaliserai et j'accomplirai tout ce que je veux.
"...Ce qui est pratique avec l'hyper-rationalisme, avec la pensée comptable, c'est que ça simplifie énormément la lecture du réel et cela donne une illusion d'efficacité, mais cela nous fait totalement passer à côté de la complexité du réel."
Comment les entreprises pourraient-elles développer leur performance dans ce sens-là ?
C'est un travail de longue haleine parce que cela demande de faire bouger des lignes de représentations, de croyances, qui sont bien ancrées dans l'inconscient collectif. Nos modes de fonctionnement sont en vigueur depuis la révolution industrielle, nous sommes pris dans cette conception-là de l'entreprise, de la performance.
Cela demanderait de dérationaliser la performance dans cette vision actuelle strictement arithmétique, financière, comptable. Je dis "dérationaliser", non pas pour en faire un concept ésotérique, mais pour le réenchanter un petit peu, c'est à dire réintroduire la notion de développement des personnes, la notion d'écologie de l'organisation aussi. Cela veut dire réussir à penser à toutes les responsabilités qu'a une organisation, car elle n'a pas qu'une responsabilité économique et financière.
Avoir une vision de sa stratégie écologique au sens où tout dépend de tout : ma responsabilité économique conditionne ma responsabilité sociale et inversement ; ma responsabilité sociétale conditionne ma responsabilité sociale et inversement.
Une organisation ne réussira à déployer ce nouveau concept de performance dont nous parlons qu'en acceptant de rentrer dans la pensée complexe telle que Edgar Morin nous l'a proposée. Ce qui est pratique avec l'hyper-rationalisme, avec la pensée comptable, c'est que ça simplifie énormément la lecture du réel et cela donne une illusion d'efficacité, mais cela nous fait totalement passer à côté de la complexité du réel.
Est-ce que les organisations aujourd'hui sont prêtes à explorer la voie de l'efficience plutôt que celle de l'efficacité ?
Je pense que notre attachement à nos croyances, à nos modes de fonctionnement est tellement fort que nous ne sommes pas prêts à sortir de notre caverne. Et dans la conception actuelle de la performance il y a en jeu des notions de pouvoir qui ne sont pas du tout anodines. Lorsqu’on propose d'explorer une voix de l'efficience, cela rebat les cartes des enjeux de pouvoir. Tout le monde n'est certainement pas prêt à cela.
Aujourd'hui, avec l'accélération des innovations, avec l'accélération du temps, les entreprises ont-elles vraiment le choix de rester sur cette vision de la performance qui est extrêmement court-termiste ?
"...quand on sera acculé, l'état du monde et de notre société sera très dégradé."
Il se peut qu'à un moment donné elles n'aient plus le choix, il se peut que certaines organisations se convertissent avant d’être acculées à le faire, mais je pense que beaucoup d'organisations essaieront de conserver cette conception de la performance aussi longtemps qu'elles le pourront.
Peut-être qu'elles finiront par être obligé de changer. Mais quand on sera acculé, l'état du monde et de notre société sera très dégradé.
Il y a un cours inéluctable des choses qui fait qu'à un moment donné même ceux qui ne veulent pas seront obligés mais l'échange qu'on a aujourd'hui doit surtout nous interpeller sur le sursaut nécessaire avant que cette obligation n'arrive.
Qu'est-ce que la philosophie peut leur apporter dans cette voie-là ?
Très modestement, parce que je ne nie pas que les dirigeants actuels ont des responsabilités immenses - c'est un défi chaque jour que de pouvoir mener à bien une entreprise - la philosophie offre la possibilité de prendre du recul.
Ce qui est normalement la première responsabilité de tout dirigeant, au sens où il a d'abord la responsabilité de la stratégie de son organisation. Or, la stratégie, c'est d'abord avoir le recul nécessaire précisément pour voir au-delà du court terme ; pour pouvoir inscrire son entreprise dans le moyen et dans le long terme. Et donc pour cela, il faut dézoomer, il faut penser la prise de recul au sens figuré mais aussi au sens propre. Pour pouvoir développer une vraie pensée stratégique, d'une certaine manière, il faut philosopher c'est-à-dire prendre de la distance avec son activité, avec le réel.
"C'est la responsabilité de chacun d’avoir la capacité de prendre du recul, de remettre de l'efficience là où ça en manque, et de réoxygéner notre concept de performance."
Et pouvoir être en conscience des présupposés avec lesquels on décide ce qu'on décide, et avec lesquels on définit une certaine vision pour son organisation. Pas nécessairement pour se débarrasser de ces présupposés, en tous cas pas de tous, mais pour être sûr que c'est bien avec ceux-là qu'on veut avancer, qu'on veut décider.
Mais il y a une telle pression, et une telle attente. Il y a aussi la représentation qu'on se fait de ce que c’est d’être un dirigeant aujourd'hui qui pèse et qui empêche de prendre ce recul vertueux et salvateur.
Donc, a minima, l'apport de la philosophie serait de remettre un peu de distance entre ce que je suis supposé faire en tant que dirigeant et ce que je fais vraiment. Se réinscrire dans un temps plus long et se réinscrire dans une conscience.
A quel point ai-je conscience des représentations, des concepts à partir desquels j'influence le réel ? Les décisions que je prends en tant que dirigeant ont des conséquences directes et très concrètes sur mes collaborateurs, mes clients, sur la société.
Tout le pouvoir de la philosophie c'est ce travail de conscience pour éclairer mon action dans le monde.
Ce qui est intéressant, c'est que c'est un enjeu qui ne se pose pas seulement au niveau des directions. Il est répliqué à tous les niveaux d'une organisation puisque tout cela est systémique.
C'est la responsabilité de chacun d’avoir la capacité de prendre du recul, de remettre de l'efficience là où ça en manque, et de réoxygéner notre concept de performance.
"C'est parce que nous sommes pris, ensemble, dans la course que nous allons nous dépasser au sens d’explorer des potentiels et des ressources insoupçonnés. Et nous réaliserons plus chacun et ensemble que ce que nous aurions réalisé seul car rien ne nous aurait invité à nous dépasser."
Un autre enjeu est celui de la compétition. On associait tout à l'heure la performance avec l’efficacité ; une autre notion associée est celle de compétition. La compétition en interne et en externe avec les concurrents.
Là encore, notre conception de la compétition est extrêmement pauvre d'une certaine manière. L'émulation est plus inspirante et surtout beaucoup plus proche de l'origine du concept de compétition qui vient de concourir - courir avec – et qui n'est pas courir contre.
Du fait que je sois pris dans une course avec l'autre, j’ai l'autre à mes côtés. La capacité de l'autre m'invite à me dépasser et ma capacité invite l'autre à se dépasser. C'est parce que nous sommes pris, ensemble, dans la course que nous allons nous dépasser au sens d’explorer des potentiels et des ressources insoupçonnés. Et nous réaliserons plus chacun et ensemble que ce que nous aurions réalisé seul car rien ne nous aurait invité à nous dépasser.
Je trouve que c'est vraiment dommage de passer à côté de cette dimension-là parce que l'idée n'est pas d'être le meilleur contre les autres, au détriment de l'autre. L'idée c'est de pouvoir être la meilleure version de soi-même en tant que personne et en tant qu'organisation grâce à l'autre. Et si je peux être sur ce chemin de l'excellence et stimuler l'autre sur son propre chemin de l'excellence, c'est formidable. Tant mieux pour la société, tant mieux pour tout le monde.
Cela rejoint aussi l'intérêt de l'intelligence collective, cette capacité à tirer parti des spécificités de chacun et de créer un résultat supérieur à la somme des parties.
"Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas retrouver cette espèce d'émulation naturelle et productive au niveau des organisations humaines tout en laissant à chacune sa place, sa singularité, son excellence."
Exactement ! Et à dépasser cette croyance un peu archaïque et primaire que si l'autre existe plus fort que moi, alors je meurs. C'est une vue de l'esprit. Quand on regarde la vie, tout a sa place tel qu'il est. C'est comme si on imaginait dans un verger qu'il n'était pas possible que plusieurs pommiers s'épanouissent en même temps. Comme si ça voulait dire qu'une fois que l'un s'est épanoui, les autres n'ont plus qu'à mourir. Jamais dans la nature on a vu une chose pareille.
Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas retrouver cette espèce d'émulation naturelle et productive au niveau des organisations humaines tout en laissant à chacune sa place, sa singularité, son excellence.
Marion, une dernière question, finalement pour quelle finalité cherchons-nous la performance ? Car une fois que notre objectif est atteint, cela devient difficile de continuer à progresser, cela devient difficile de se maintenir.
Non seulement c'est difficile, mais c'est impossible ; tout dans l'existence et dans la nature, le fonctionnement de la vie, la croissance n'est jamais infinie. Tout est cyclique. Je prenais dans le recueil l'image de la montagne : une fois que je suis arrivé au sommet et bien je redescends. Je ne peux pas me maintenir perpétuellement au sommet.
Il y a cet autre sens dans la performance qui est celui de parfaire, et parfaire c'est parachever, c'est à dire achever. Si je vais au maximum de ce que je peux faire, je signe aussi mon point final. Il faut aussi avoir cette idée que quand je suis vraiment au plein de ma forme à un moment donné, je vais nécessairement décliner. Il y a l'idée à la fois d'accomplissement et d'aboutissement. En revisitant le concept de performance les organisations vont aussi être amenées à réfléchir à leur propre fin.
Est-ce que je suis faite pour durer toujours, suis-je prête à ne pas durer toujours, comment est-ce que je prépare ça ? De la même manière c'est vrai pour une civilisation, pour un être humain, pour tout, rien ne dure toujours.
Est-ce que je suis prêt à envisager que ma performance ne durera pas toujours, et donc comment ai-je envie de la conduire pour que ce soit la plus belle fin possible ?
Finalement si on s'attache plus au chemin qu'à l'objectif final, la problématique ne se pose plus de la manière.
C'est exactement la pensée chinoise. Evidemment cette pensée de la finalité, au sens de la fin, a quelque chose d'oppressant. Il est beaucoup plus intéressant de s'occuper du chemin et de tirer le sens de ce qu'on fait du chemin parcouru que de la fin au sens du point final.
Retrouvez Thaé et Un mois, Un mot sur Thaé (thae.fr)
